Combattant exceptionnel, posé, fier, rêveur, honorable

Tu ouvres les yeux, encore au même endroit, comme toutes les nuits, comme dans chaque rêve, ce lieu inconnu et qui pourtant te paraît terriblement familier, cette immense caverne dont tu ne vois pas les limites, plongé dans la brume,atmosphère tellement froide, glacée que de la fumée sort à rythme régulier de tes lèvres entrouvertes....
Et comme chaque nuit tu refais le même geste, inlassablement, comme chaque nuit tu te retournes pour tomber nez à nez face à ton propre reflet, comme chaque nuit tu tends la main vers lui, pose ta main sur le verre, presque figé et fasciné par cette image de toi qu'il reflète, qui te ressemble, les mêmes yeux bleus, les mêmes traits, et qui pourtant te paraît chaque fois si différent sans que tu ne puisses réussir à comprendre en quoi, pourquoi, jusqu'à ce que tu remarques le sourire sur ses lèvres, le sourire dans ses yeux, jusqu'à ce que tu sentes ton cœur se serrer d'envie et de jalousie, tu voudrais tellement être comme lui, être lui
Tu le sais en plus que ce rêve n'est pas entièrement faux, assez juste dans la manière de te confronter à ces deux visages, à la dualité de ta personnalité, tu ne peux pas le nier, vous êtes deux, lui et toi

Lui, celui qui rêve, celui qui voudrait une vie tranquille, qui voudrait s'enfuir, recommencer, un rêve que tu sais utopiste et irréaliste mais qui t'habite depuis longtemps, aussi longtemps que ta mémoire défaillante réussit à remonter...Lui que tu voudrais tellement être quand tu l'observes dans le miroir, quand tu le vois ainsi, libre et libéré....Celui que tu ne peux pas être en opposition à toi.
Toi, le guerrier, celui que l'on voit à travers les armes, celui que l'on voit à travers son talent, qui est comme tous les autres, fier, froid, celui qui manie une certaine ironie, qui emprunte une image pour se faire sa place, qui fait taire ceux qui voient trop clair dans son jeu, qui le juge trop rêveur ou trop honorable...
Lui, celui que tu détestes et en même temps à qui tu sais que tu dois ta survie, à qui tu dois d'être reconnu, respecté alors que tu étais voué à une vie d'errance dans les rues après la mort de ton père, tu le sais très bien, que si tu n'avais pas été Lui, si tu n'avais pas si bien prétendu être cet archétype parfait, si la nature et une certaine forme de chance n'avaient pas été de ton côté tu serais probablement mort aujourd'hui
Et tu te sens presque claustrophobe sous ton propre regard, dans cette caverne, comme tu te sens presque claustrophobe dans ta propre vie parfois, quand tu prends conscience de vouloir sans pouvoir, d'être face à l'impossible, l'inaccessible, toi à qui d'habitude rien ne résiste
Et c'est presque beau lorsqu'on y pense, mais d'une beauté cruelle, que ton plus grand échec et ton plus grand combat soit toi-même

Tu regardes autour de toi, lève les yeux au ciel vers ce plafond trop haut mais rendu si bas par le brouillard au dessus de toi, presque pris d'un vertige, ta respiration s'accélère, anarchique, chaotique, avant de reporter ton regard sur lui, sur l'Autre et finalement de réagir comme face à n'importe quel autre adversaire, par la volonté d'éliminer, de s'éliminer, le poing serré qui s'écrase violemment contre le verre dans un réflexe presque primitif, le miroir qui se brise et les morceaux qui éclatent, volent, s'éparpillent dans les airs, brillent autour de toi avant que tu n'ouvres les yeux brutalement, retour à la réalité, à bout de souffle alors que tu essayes de te contrôler, préserver les apparences toujours, montrer ses faiblesses, jamais.

Tu te lèves sans un bruit et sort à l'extérieur dans le froid de la nuit, dans quelques heures tu reprendras ton rôle, comme tous les jours, et la nuit suivante, comme toutes les nuits, tu affronteras à nouveau tes propres démons, sera forcé par ton propre esprit à les regarder en face, à te regarder en face
On te demande souvent comment tu fais pour ne jamais, jamais avoir peur, pour ne jamais trembler, c'est probablement pour ça, parce que tu sais que le pire vit en toi, un ennemi cesse d'exister, s'écroule comme un pantin désarticulé en quelques gestes bien calculés alors que tes doutes eux reviennent sans arrêt, ne cesseront jamais réellement d'exister