Hellä n’aimait vraiment pas le mois de Regn. Le climat glacial régnant l’incitait à rester dans sa chambre, emmitouflée dans une couverture en laine bien épaisse. Mais bien entendu elle n’en ferait rien, la rouquine culpabiliserait bien trop. Qui plus est, elle avait une journée bien pleine. Cela faisait maintenant un moment qu’elle n’avait plus de quoi s’occuper des malades les plus démunis, qui étaient nombreux pas ce temps. Une petite descente chez un herboriste était de rigueur. Après une toilette très succincte – on ne veut pas rester mouillé très longtemps par des températures négatives, Hellä pria. Dans sa chambre, elle alluma la bougie de son autel personnel et psalmodia quelques mots. S’en suivit une matinée des plus banales, entre un petit-déjeuner sur le pouce et corvées quotidiennes. Après la seconde prière de 11h00, elle était libre de s’éloigner un peu du temple.

Hellä attrapa sa cape la plus épaisse, ainsi que sa préférée, et s’enveloppa dedans. Comme a son habitude, elle portait une longue robe noire, assez cintré, couvrant ses pieds et laissant apparaître la naissance de sa petite poitrine. Sa cape pourpre venait cacher ses cheveux et protéger sa gorge. Les allées du temple était de vrais courants d’air, étant principalement composé de salles hypostyles, les arcades donnant sur une cour intérieur. Aux saisons chaudes, se balader dans ces promenoirs étaient un véritable plaisir, mais dès que les vents se levaient on aurait préféré des pièces cloisonnées. A la hâte, elle quitta l’enceinte sacrée, ne pouvant s’empêcher de dire quelques mots en passant devant l’arbre de la déesse Miðgarðr. Cette arbre magnifique semblait défier les lois de la nature, arborant constamment de superbes feuilles aux couleurs du soleil. Il était dit que, si l’arbre venait à perdre des feuilles, c’est qu’il avait été empoisonné.

Le quartier religieux était toujours très animé et grouillait de monde, principalement autour du temple du dieu Heimr. La dévote se faufilait tant bien que mal parmi la populace, ravie cependant de voir tant de monde se presser aux portes des temples. Il faut dire que son mentor noircissait le tableau quant à la dévotion des personnes vivant à Hjarta – il passait son temps à dire que ce n’était que dans l’apparence. Hellä aimait à croire que la population pouvait être juste un peu réservée sur sa foi… elle était bien naïve.

Les allées marchandes étaient tout aussi peuplées à cette heure de la journée. Si elle l’avait pu, Hellä serait venue dès son réveil, afin de s’assurer de la présence des produits qu’elle cherchait. Une odeur de pain frais vint chatouiller les narines de la jeune femme, lui mettant l’eau à la bouche. Bien qu’elle n’était pas gourmande, les odeurs de pains et brioches frais l’aguichaient forcément. Elle activa le pas pour s’éloigner de la tentation et entra dans une boutique qu’elle fréquentait souvent. Après un échange de politesse, l’herboriste informa la jolie rousse qu’il ne disposait pas des produits dont elle avait besoin, et l’aiguilla chez une autre vendeuse qu’il savait regarnir son stock régulièrement. Hellä le remercia et partit en quête de cette seconde boutique.

Deux allées plus loin, la prêtresse tomba dessus. Il s’agissait d’une boutique d’herboriste typique, du point de vue de Hellä – bien qu’elle ne s’y connaisse pas spécialement en boutique, ni en chose typique. Elle poussa la porte, arborant un grand sourire et fut accueilli par une jolie jeune femme, brune. Celle-ci ressemblait davantage à une combattante qu’à une herboriste, mais son aisance laissait croire qu’elle tenait le magasin. Après tout, il ne fallait pas juger les gens sur leurs apparences.

« Bonjour ! On m’a donné l’adresse de votre boutique, pensant que vous auriez peut-être ce que je recherche. Il me faudrait deux racines de genévrier, deux sorcerelles et du miel je vous prie. Il me semble que c’est tout ce dont j’ai besoin pour concoter une potion de soins ? J’ai déjà les pétales de violette ! »

La boutique inspirait confiance , tout y était parfaitement rangé et étiqueté. De plus, ou douce odeur imprégnait les lieux – un mélange d’herbes probablement – et apaisait l’esprit. L’endroit lui rappelait quelque peu sa maison, dans son ancien bourg : le salon était constamment encombré d’herbes et lotions diverses, que sa mère utilisait pour soigner les gens du village. Hellä soupira à ce souvenir, à la fois agréable et douloureux. Elle secoua la tête afin de chasser ses pensées. Ses yeux se posèrent de nouveau sur la vendeuse, qui cherchait les produits demandés. Regorgeant de matières premières, l’échoppe possédait sans nulle doute tout ce dont la prêtresse avait besoin. Elle s’approcha d’une étagère et en contempla le contenu. La moitié des éléments présents était totalement inconnue à la jeune femme : elle n’était ni alchimiste, ni herboriste après tout, et n’avait pas eu une formation très poussée dans ce domaine. Elle se contentait de remèdes simples, permettant de guérir de petites choses, de faire tomber la fièvre ou apaiser le sommeil.

La jeune brune s’absenta un instant, probablement afin de trouver le dernier ingrédient requis. Un flacon attira l’attention de Hellä – le liquide, d’une jolie couleur pourpre, intriguait la dévote. Elle n’avait jamais vu une concoction de cette couleur, et pourtant elle utilisait souvent la violette, qui logiquement teintait le liquide dans ces tons. Sur le récipient était écrit « Thé des Rêves ». Elle avait entendu parlé au Temple d’une potion permettant d’entrer en transe et de provoquer des visions chez ses consommateurs. La rouquine avait refusé d’en consommer, trouvant cela dangereux et plutôt inutile.

Derrière la cloison, la rousse entendit des voix : celle de la vendeuse et une autre, inconnue, mais qu’on devine féminines. Il était impossible de comprendre ce qu’il se disait, et puis c’était aussi impoli. La curiosité ne faisait pas parti des défauts de la religieuse … du moins pas sous cette forme. Espionner ne menait à rien de bon, et puis si la discussion la concernait, elle y aurait été convié. Assez rapidement, la vendeuse revint, souriante. Hellä l’attendait sagement au comptoir, esquissant un sourire.

« Merci bien ! A vrai dire, je ne connais que le tonique de soins et les antidotes. N’étant ni alchimiste ni herboriste, je ne m’aventure jamais dans des recettes trop compliqués et n’achète que le minimum. Après, si vous avez des produits à moindre coût déjà confectionné, pourquoi pas. Je suis une simple prêtresse qui soigne les gens dans le besoin à ses heures perdues, voyez vous. »

Elle fit une courte pose, élargissant davantage son sourire.

«En tout cas, je trouve cela fantastique de travailler en famille. Ce doit être très gratifiant, et cela permet de renforcer vos liens ! Vous semblez vous y connaître qui plus est. »

Hellä l’observait avec de grands yeux admirateurs. Même si son travail lui plaisait, elle avait toujours été passionné par l’alchimie, et aurait sans doute aimé en faire sa profession. Mais bon, les choix qu’elle a pris l’aiguillèrent différemment.

En quittant le temple ce matin, elle n’aurait jamais envisagé tomber sur une marchande sympathique et foncièrement déterminée à aider, et non pas juste à faire acheter. Les précédentes échoppes dans lesquelles la prêtresse avait l’habitude de se rendre la prenaient pour une idiote et cherchaient à l’arnaquer. C’était éreintant, de repousser sans cesse leurs assauts, elle finissait mal à l’aise, à acheter tout de même plus que ce qui était nécessaire. Enfin, ils étaient des commerçants après tout.
Hellä jeta un œil au contenu de sa bourse.

« Hm. Pour cette fois, cela risque d’être un peu délicat. Je n’ai pas envisagé cette possibilité avant de quitter le Temple. Je reviendrais, cela ne me dérange en rien. C’est un peu comme une balade pour moi, cela me permet de voir autre chose que le quartier religieux. C’est très amusant de se mêler à la population, de temps en temps, et puis ça aide à mieux comprendre les gens qui viennent quérir mon aide. »

Car oui, il était rare qu’elle sorte pour d’autres occasions. Les actes de charité composaient la majeure partie de ses journées – non pas seulement par devoir, elle y prenait beaucoup de plaisir. C’était sa vocation, il n’y avait aucun doute la dessus.

Le prénom de Inga sonna comme familier aux oreilles de la rouquine. Elle se souvenait d’une jeune herboriste l’ayant accompagné lors de sa dernière rencontre avec les plus défavorisés. Elle avait été particulièrement douce avec les malades, et avaient soulagés un grand nombre de patients. Hellä avait immédiatement trouvé cette femme admirable.

« Oh ! C’est donc ici qu’elle travaille. Effectivement, je l’ai vu à plusieurs reprises, mais nous parlions peu de nous. Elle m’avait seulement indiqué son nom et sa profession. Ekke est toujours très aimable et serviable ! C’est une très bonne personne, tout comme vous j’en suis persuadé. » Elle élargit son sourire. «Et voila que vous confirmez mes dires. C’est très généreux de votre part d’aider votre sœur. Et vous êtes nombreux dans votre famille ? »

La religieuse n’avait eu aucun frère et sœur, et sa venue avait été vu comme un don du ciel pour ses parents. Ils avaient eu tant de mal à avoir un enfant, sa mère ayant enchaîné les fausses couches. Parfois, la jeune femme s’imaginait avec toute une flopée de frères et sœurs, en étant probablement l’aînée et en prenant soin d’eux. Dans un monde idéal, elle serait toujours à Höllen, dans son petit village, avec ses parents vivants et une belle fratrie.
Hellä eut un petit sourire en coin, laissant paraître une once de tristesse.

« C’est ma mère qui m’a appris ce que je sais. Elle était l’herboriste du village dans lequel j’ai grandi, à l’est de Björn. Enfant déjà je m’amusais avec les herbes et concoctais des potions, sous l’oeil de mère évidemment. Elle voulait que j’aide les autres, d’une façon ou d’une autre. » Elle marqua une pause. « Et en quoi consiste le travail d’une guerrière de l’Élite de l’Herr ? C’est peut-être idiot comme question, mais c’est un domaine qui m’est étranger. »

Il n’y avait pas moins belliqueux que Hellä. Elle n’était que douceur, gentillesse et altruisme. Même si elle comprenait les enjeux et la nécessité d’avoir des guerriers, tout ce qui y touchait de près ou de loin était inconnu à la petite dévote.