«
Reste près de Nagesa. »
«
Mais mamaaaaaaaaaaaaaan... »
«
Tu préfères rester près de moi ? »
Le sourcil arqué, Astrid regardait sa fille d’un œil circonspect. La moue boudeuse de l’enfant ne se dérida que lorsque sa mère durcit le regard, lui promettant de mettre sa menace à exécution si elle rechignait à accéder à sa requête. Lorsque l’enfant acquiesça finalement vigoureusement la tête, sa mère la laissa partir sous l’œil acéré de sa dame de compagnie, à qui elle adressa un remerciement silencieux qui lui fut aussitôt rendu par la Gamallienne. Aussitôt, elle lui fut reconnaissante de les avoir accompagnées ; Il n’y avait personne à qui elle fasse plus confiance pour assurer la protection de Solveig – mis à part son propre père –, c’est pourquoi c’est le cœur léger qu’elle vit la silhouette de l’enfant disparaître, engloutie par la foule, la laissant seule. Mais pas pour longtemps ; Elle avait malheureusement à faire et regrettait parfois de ne pas pouvoir déléguer ses obligations pour mieux profiter de ces rares instants avec son enfant.
Sans surprise, les rues de la capitale étaient chargées. Des groupes de pèlerins venus faire leurs offrandes s’entrecroisaient aux entrées des temples et entre les étals colorés qui dégueulaient de nourriture et d’offrandes à acquérir pour s’assurer les bonnes faveurs de Fagr. Si rien n’avait été organisé par le Jarl – qui se faisait étonnement discret depuis les révélations du tournoi –, les îliens s’étaient donnés rendez-vous pour partager la galette rituelle de pâte et de miel et organiser des divertissements à même les rues, dont chacun pouvait profiter à loisir. Ainsi, les barbes donnaient le « la » aux jongleurs et aux marchands, le cœur de la ville sentait bon la ripaille et les chants résonnaient en tout sens. Bien sûr, l’alcool mordoré se voulait porteur de beaux jours et coulait à flots, pour le plaisir de chacun. Que ne pouvait-elle tremper ses lèvres dans le breuvage ? Sa gorge parcheminée, asséchée par le soleil haut qui couronnait cette journée, ne demandait que cela !
Plus tard, songea-t-elle en apercevant la bâtisse où l’homme lui avait donné rendez-vous.
Plongée dans l’ombre d’une ruelle, la maisonnée de bois s’étendait en hauteur et ne laissait rien entrevoir du trésor qu’elle cachait. L’homme qui vivait là lui promettait une offre qu’elle ne pouvait refuser – si tant est qu’il parvienne à la lui vendre. Mais elle était moins intéressée par son offre que par le fait qu’il puisse lui être redevable un jour, d’une manière ou d’une autre. Bien sûr, elle se garda bien de le lui préciser et se contenta d’accepter son invitation, y voyant tout à la fois l’opportunité de conclure une affaire fructueuse, celle de profiter d’un moment avec sa fille et celle de profiter des célébrations des beaux jours.
N’aurait-elle pas eu tort de refuser ?
Prudemment, elle tapa à la porte et s’y faufila lorsqu’on vint lui ouvrir.
***
«
Je dois dire que vous savez mener la barque ! Il éclata d’un rire tonitruant.
Mais vous savez, il y a des moyens plus définitifs de conclure une alliance mmh... N’auriez-vous pas envie de voir de vos yeux les Six Tours de Shabaan ? »
L’homme, dont la peau basanée faisait ressortir l’éclat sombre de ses prunelles, s’était arrêté pour déposer un baiser sur le revers de sa main. À ce geste, la Fálkidottir soupira et gratifia son œillade amusée d’un sourire en coin. Elle reprit sa marche en passant son bras sous celui de son compagnon ; Ensemble, ils déambulèrent dans les rues et se virent offrir une part de galette qu’ils acceptèrent volontiers – moyennant quelques pièces.
«
Je crains que ça ne soit pas dans mes projets immédiats, mais qui sait... J’ai toujours rêvé de voir les côtes de Gamall. » Répondit-elle en croquant avec avidité dans sa pâtisserie, dont le miel gicla à son palais.
«
Oh vous pourriez faire mieux que les voir, vous pourriez les vivre ! Vous méritez au moins cela sinon plus... »
Elle éclata d’un rire léger mais ne répondit pas immédiatement. À dire vrai, les mots étaient restés coincés dans sa gorge, étranglés par la bile amère qui venait de remonter. Loin, entre deux visages qu’elle ne distinguait pas, la silhouette d’Amalrik Hason venait d’apparaître. La dernière chose qu’elle voulait, c’était croiser sa route.
«
Que diriez-vous que nous nous éloignons du centre ? » Demanda-t-elle de but en blanc à son interlocuteur, fauché par l’incompréhension.
Et trop peu prompt à réagir.