Juché au haut d’un rocher, Roald attendait que le soleil s’éteigne sous l’horizon. Chaque heure qu’il passait ici était une heure qu’il passerait en moins dans les suffocants souterrains de Jarda.
Et une heure en moins passée auprès de mon père... Ses yeux s’étaient fixés sur un point invisible du sobre paysage. Au loin, il pouvait voir une infime ligne démarquant l’océan. Le plus il attendait, le plus la ligne s’effaçait, comme si le ciel plongeait dans la mer...
Le froid commençait à s’endurcir alors que le vent sifflait avec de plus en plus d’entrain. Un frisson hérissa les poils du jeune garçon. Il n’en avait pas envie, mais mieux valait s’éclipser maintenant s’il ne souhaitait pas rentrer avec un nez qui coule. Il sauta a terre d’un bond agile. Ses orteils glacés crièrent de douleur lorsqu’il se mit en route. Il était resté assis là trop longtemps, ruminant et s’engouffrant aux fins fonds d’une amer mauvaise humeur. Son obstination juvénile l’emplissait d’une rage qu’il ne savait contrôler : comme son père, Roald était quelqu’un de têtu, au tempérament fougueux. Il avait croisé l’un des membres de l’équipage de son père. Celui-ci lui avait annoncé que la Mort Chantante s’était amarrée à même le jour et qu’Amalrik était sain et sauf ; pas que « sain et sauf » ait intéressé le jeune garçon qui - depuis cette annonce - s’était réfugié dans une boudeuse solitude. Enfin... il était temps de prendre refuge. Roald s’empressa de rejoindre l’une des entrées souterraines pour s’engouffrer dans l’ombre des cavernes de Snákr.
Le salon était humide, l’air moite ; ça sentait la moisissure. En voilà une odeur familière... Amalrik ne s’était jamais habitué à la délicate fétidité qui s’incrustait entre les parois des souterrains de Jarda. Il se forçait à l’ignorer.
Il s’affala sur le siège près du feu crépitant dans l’âtre, puis retira ses bottes avant de les jeter paresseusement dans un coin.
Soudainement, la porte d’entrée s’ouvrit, émettant un grincement déguenillé. Amalrik ne prit pas la peine de se retourner ; il pouvait déjà sentir le regard boudeur de son fils peser sur ses épaules. Le garçon n’avait pas manifesté d’enthousiasme à la revenue de son père depuis plusieurs années, ce qui n’avait fait que nourrir l’aigreur du capitaine. Ce dernier aimait penser qu’il méritait l’estime de chaque membre de sa famille, après tout il rapportait gloire et fortune au nom de Hafson ! L’ingratitude dont son fils faisait preuve ne fit qu’incendier l’humeur d’Amalrik. Enfin, il se retourna pour pointer son regard d’émeraude dans celui de Roald.
«
J’ai vu ta mère. »
Dit-il d’un ton détaché. Il savait pertinemment que la nouvelle allait attirer l’attention du garçon, et il tirera probablement une sadique satisfaction à lui annoncer la triste nouvelle.
«
Maman ?! Elle va bien ? Elle va nous rendre visite ? la soudaine joie qu’Amalrik percevait dans la voix de son fils le blessa davantage qu’il ne pensait.
_
Non... Non, elle ne va pas nous rendre visite. l’insensibilité dans sa propre voix le surprit,
Il vaut mieux qu’elle garde ses distances pendant un moment. Les tensions sont hautes à bord de la Mort Chantante, et notre... amitié n’est pas vue d’un bon oeil parmi mes hommes._
Mais qu’est-ce que j’en ai à faire de tes hommes ? demanda Roald d’un ton défaillant.
_
Ce que je fais je le fais pour toi et... son fils l’interrompit.
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Pour moi et Sigvald... tu dis toujours la même chose. De toute manière c’est ta faute. C’est toujours à cause de toi ! »
La voix du garçon se brisa légèrement. Amalrik se retourna pour regarder son fils : ses yeux étincelaient le soupçon de quelques larmes. Ne sachant comment faire face à un enfant au point de pleurer, le capitaine se retourna à nouveau afin d’éviter le visage chagriné du jeune garçon.
«
Cesse de m’ennuyer, Roald. »
La voix d’Amalrik s’était faite faible, mais ferme. Toutefois, la remarque ne fit qu’intercaler l’inconfortable silence. Après quelques instants, Roald s’assit aussi loin de son père que possible, puis arracha un bout de la miche qui décorait la table à manger.
«
D’ailleurs Roald, où est Alda ? L’absence de sa femme-écume ne l’avait pas frappé jusqu’à présent.
_
Je ne sais pas. Je ne l’ai pas vue depuis ce matin. » répondit Roald avec indifférence.
En voilà une famille merveilleuse... se dit Amalrik avec sarcasme,
un fils qui déteste son père, et une épouse fantôme...