Là où est le danger, là est ce qui sauve

Logan Skall, Astrid Sìlfrddóttir et Sigrid Hakondóttir

Après que Logan eut repris connaissance, Sigrid n'avait pas été directement chez Astrid. Elle avait préféré s'assurer que leur expédition près des nids de Harpies ne leur avait pas attirée des ennuis auprès des habitantes des lieux, mais il semblait que non. Ce n'est finalement que le lendemain matin, alors que le soleil se levait, que l'alchimiste avait décidé de se rendre auprès de la capitaine qui les avait accueillis sur l'île. Elle ignorait où celle-ci vivait, c'est pourquoi ses pas la dirigèrent vers la plage où se trouvaient les drakkars : là au moins, elle serait certaine de lui mettre la main dessus !

Logan ne devait normalement pas la rejoindre, il était encore en partie affaibli par le poison des Harpies et il ne serait certainement pas en état de se battre convenablement. Or, s'ils ne s'étaient pas trompés et que les attaques des créatures avaient bien été déclenchées par une personne voulant nuire à Fálki, ils allaient certainement devoir en arriver là. Sincèrement, Sigrid ne tenait pas à réitérer leur retour de la fois dernière. Elle avait franchement cru que le continental allait y passer et cela lui avait trop rappelé les blessés qui défilaient dans le magasin de son oncle durant la révolte d'Harding.

Évitant soigneusement de promener son regard sur les environs, la demoiselle se dirigea donc directement vers la plage. Elle n'aimait pas trop le fait d'être la cible des attentions et même si elle passait relativement inaperçue contrairement à Logan, la blonde savait qu'elle n'était pas dans son élément. Elle avait l'impression de se promener avec les couleurs de Snákr sur le dos.
C'est donc avec un certain soulagement qu'elle repéra le drakkar d'Astrid et se dirigea vers lui d'un pas assuré. Elle avait emporté son arc comme toujours et en triturait nerveusement la anse. Ses prunelles se promenèrent sur les silhouettes présentes sur la plage, cherchant à trouver celle qui l'intéressait réellement. Ce n'est qu'après quelques secondes de vaine recherche qu'elle repéra enfin la jolie Fálkidóttir.

Sigrid s'approcha d'elle, essayant d'avoir l'air aussi assurée que possible, mais c'était pourtant tout le contraire. Même si elle cherchait à faire croire le contraire, la jeune alchimiste n'avait jamais été une femme très dominatrice ou caractérielle. Astrid l'impressionnait beaucoup malgré la douceur qu'elle pouvait dégager par moment. Qui plus est, depuis qu'elle avait appris que la capitaine était aussi la mère de l'enfant de Gabriel – son ami – Astrid se sentait étrangement plus intimidée qu'à l'accoutumée. Pourtant, elle n'avait rien à voir avec eux, mais il fallait croire que ce genre d'histoire la gênait plus qu'elle ne l'aurait pensé.

Repoussant ses pensées sans intérêt, Sigrid s'éclaircit finalement la gorge lorsqu'elle fut à proximité d'Astrid, espérant attirer son attention. En vain. Le bruit du ressac ou quelque chose d'autre l'empêcha de se faire entendre de la Fálkidóttir, obligeant la blonde à reprendre la parole d'un ton plus ferme.

« Astrid ! » Lorsque cette dernière la remarqua, Sigrid enchaîna : « Je suis navrée de vous déranger, mais j'aurais besoin de vous parler de quelque chose. D'assez important. » Et comme Astrid serait peut-être surprise par l'absence de Logan, la Snákrdóttir précisa ce point : « Logan est entre les mains des apothicaires, il n'est pas sans surveillance. »

Mais c'était bien mal le connaître, elle était loin de se douter qu'il allait débarquer à ses côtés d'un instant à l'autre. Pourtant, elle aurait dû savoir que les hommes étaient voués à lui compliquer la vie !

Ses prunelles sondaient la mer sans discontinuer. Bercée par le roulis de l’eau sur la coque du navire, Astrid prêtait à peine attention à l’agitation qui s’ébattait autour d’elle. Elle avait toujours aimé plonger son regard dans les profondeurs insondables des mers, et à ses heures perdues, elle appréciait aussi de s’y plonger corps et âme. Quand le temps s’y prêtait, quand le soleil était haut dans le ciel et faisait blondir les champs, la Fálkidottir n’hésitait jamais à s’immerger dans les flots sombres, à se laisser flotter à sa surface, à inhiber ses sens pour ne faire plus qu’un avec la mer. Avec le temps, elle avait apprivoisé sa morsure glaciale, si bien qu’elle n’en souffrait plus, pas plus qu’elle ne souffrait de l’humidité. Elle n’en appréciait pas moins la chaleur d’un feu de camp ronronnant. Çà et là, les éclats de voix de ses rameuses l’arrachaient à sa contemplation silencieuse ; Elle leur accordait alors un regard bienveillant et une risette patiente et s’en retournait à son occupation favorite. De temps à autre, on venait lui demander un conseil ou l’autre, ce qu’elle ne manquait jamais de prodiguer. Mais la plupart du temps, les femmes qui étaient sous ses ordres – et sous sa protection – savaient pertinemment ce qu’elles avaient à faire.

Il n’y avait pas que son drakkar, ce jour-là, sur la plage. D’autres capitaines, comme elles, étaient venues s’assurer que leurs biens sauraient se jouer de la tempête à venir. On l’avait prédit, à la capitale ; Le froid, et avec lui la glace, allait s’abattre sur l’île. Peut-être dans la nuit, peut-être au lendemain, mais le vent finirait par souffler fort et démonterait les eaux. Grand serait le risque de celui qui s’aventurerait trop près des côtes, même s’il était tentant d’admirer les forces de la Nature se déchaîner au-dessus des vagues. Elle-même avait formellement interdit à sa fille de sortir de la demeure et avait conseillé à ses parentes d’en faire autant. Et, quoiqu’habituée des tempêtes, Astrid ne ferait pas exception à la règle et resterait confinée chez elle, dans la chaleur irradiante d’un poêle et à profiter d’un repas chaud. Mais pour se faire, il fallait s’assurer que le navire soit sécurisé.

Il ne lui en avait pas fallu plus pour réunir son équipage. Comme une seule femme, elles avaient manœuvré au plus près de la plage et avait fait mordre le sable à la coque gainée de fer. Puis, elles avaient lesté le navire et l’avait harnaché aux rocailles qui parsemaient la berge. Un instant, Astrid avait considéré l’idée de le nicher dans l’une des nombreuses alcôves qui perçaient les flancs des falaises. Il lui était rapidement apparu que face au risque que les galeries soient inondées et que le bateau soit fracassé sur les ou emporté par les flots, il valait encore mieux qu’il ne rencontre aucun obstacle sur la plage. Le reste était entre les mains de la tempête. Perdue dans ses pensées, la jeune femme ne vit pas le faible mouvement qui s’était effectué sur la plage, pas plus qu’elle ne vit le regard de son équipage pointer à l’horizon sableux et des expressions inquiètes ou hostiles se dessiner sur leurs visages. Lorsqu’elle réalisa finalement que quelque chose s’approchait de l’embarcation, ce fut parce que son nom fut prononcé avec force.

Surprise d’entendre cette voix, Astrid se retourna vers l’interlocutrice sans trop y croire. Pendant un instant, avant que son regard ne croise celui de Sigrid, elle pensa avoir rêvé. Pourtant il n’y avait pas de doute ; c’était bien son regard dur, son visage contrarié, auréolé de flammèches d’or, qui s’attardait sur elle. Pendant un instant, la jeune femme ne sut quoi dire. Cela ne faisait pas si longtemps qu’elle les avait croisés pour la dernière fois, mais quelque chose avait dû arriver. Et le fait de ne pas voir Logan Skall dans le sillage de son amie lui laissa penser que c’était quelque chose de grave. Aussitôt, son estomac se noua.

« Des apothicaires ? Mais… Répondit-elle précipitamment. Qu’y a-t-il ? J’ai l’impression que vous avez vu une banshee. Réalisant, elle ajouta d’une voix blanche : ce n’est pas le cas, rassurez-moi ? »

Réputées pour être agressives, venimeuses et incroyablement dangereuses, il ne fallait rien plus aux immondes créatures pour être le fléau de l’île. Pourtant, elle ne savait quel rituel impie leur avait encore octroyé la capacité de changer d’apparence pour mieux piéger leurs proies. Un instant, elle craint que le continental n’ait succombé aux charmes d’une banshee en détresse… Un instant seulement, puisqu’il n’en fallut pas plus au Snákrson pour se joindre à elles. Il avait l’air en piteux état, ce qui ne l’empêchait pas de faire des blagues douteuses.

« Il vous faut vous reposer, conclut-elle à l’intention de ses interlocuteurs. Venez sur le drakkar, vous pourrez vous asseoir et nous pourrons discuter. Comme elle n’était pas certaine que ce soit autant une évidence pour eux autant que pour elle, la jeune femme voulut les rassurer et précisa : Vous pouvez parler librement. Ces femmes sont mes sœurs, vous ne risquez rien sur ce navire. »

Et d’agrémenter son propos d’un sourire, les invitant à la suivre à et à prendre place sur l’un des nombreux bancs qui ponctuaient le drakkar.

Là où est le danger, là est ce qui sauve

Logan Skall, Astrid Sìlfrddóttir et Sigrid Hakondóttir

En voyant Astrid adopter une expression soucieuse, la jeune femme ne put s'empêcher de s'insulter mentalement. Elle devait avoir l'air de sortir une véritable guerre alors qu'elle s'inquiétait seulement d'avoir fait une bêtise en acceptant l'idée de Logan. Quelle sottise d'avoir voulu mettre leur nez dans une affaire qui ne les concernait pas ! Certes, ils avaient récupéré des plumes et un bec de Griffon en assez bon état, mais tout de même !

Mais avant qu'elle ne puisse ouvrir la bouche pour rassurer la jeune femme, un bruit attira son attention. Tournant la tête pour regarder derrière elle, Sigrid ne put retenir un froncement de sourcils en constatant que Logan l'avait finalement rejointe. Il n'était pas en état de se promener de la sorte, mais elle savait que ses protestations seraient vaines : une véritable tête de mule ! Soupirant profondément, la blonde croisa ses bras sur sa poitrine bandée, offrant un regard chargé de reproches au jeune homme qui s'arrêtait à ses côtés. Ses prunelles claires se reportèrent sur Astrid au moment où celle-ci les invita à monter sur son drakkar pour être plus à l'aise. Vu la manière dont Logan chancelait un peu sur ses jambes, c'était effectivement plus prudent !

« Je vous remercie. »

Emboîtant le pas à la Fálkidóttir, la jeune femme ne put retenir une œillade à l'attention du Snákrson et lui lança quelques mots d'un ton bas.

« Tu étais censé te reposer ! »

Secouant la tête, elle reporta son regard sur Astrid et grimpa à bord du drakkar à sa suite. Comme Logan n'était pas au meilleur de sa forme, elle lui proposa son aide pour les rejoindre, avant d'aller prendre place sur l'un des bancs tout en jetant de brefs coups d’œil à son comparse. Même si elle ne lui devait rien, Sigrid ne pouvait pas s'empêcher de le veiller comme un chaton : c'était son côté alchimiste dévoué qui parlait !
Dès qu'ils furent tous installés, la blonde humecta ses lèvres avant de prendre la parole :

« Je m'excuse de vous avoir fait peur en arrivant, il ne nous est rien arrivé d'inhabituel si je puise dire. Disons simplement qu'on a entendu la rumeur qui parlait des meurtres et des disparitions, alors on a voulu enquêter un peu. » Ça ne s'était pas passé exactement comme ça, mais l'idée y était. « Logan a trouvé des traces de Harpies hostiles alors on s'est intéressé à ça et on a finalement découvert qu'un Griffon avait attaqué leurs nids et qu'elles s'étaient défendues avant de changer de lieu de nidification. Ça les a rapprochés de la ville et elles se sont mises à attaquer les visiteurs pour se défendre. »

Ils avaient d'ailleurs trouvé de nouveaux cadavres sur place. Le cœur de la jeune femme se serra à la pensée de la femme trouvée dans le champ, tout comme au souvenir de la mort du malheureux Griffon qui avait été malmené, mais pas achevé par ces horribles créatures.

« Logan a attiré les Harpies à l'écart pendant que je déplaçais le plus gros nid. Il n'est pas très éloigné de la zone en question, mais suffisamment pour qu'elle ne s'en prenne pas aux passants qui empruntent la route. C'est en les attirant qu'il a été blessé. » Elle lui jeta un coup d’œil. « Il est censé se reposer vu qu'il a été à deux doigts de mourir, mais il a l'air très buté. »

Difficile de ne pas sentir le reproche qui pointait le bout de son nez ! Après un dernier regard appuyé à l'attention du concerné, la blonde reporta ses prunelles sur le joli minois d'Astrid.

« En retournant sur les lieux quelques jours plus tard, j'ai repéré des signes suspects. Je dois aussi préciser que j'ai rencontré par hasard un guérisseur qui empruntait la route, il a lui aussi remarqué des signes d'une présence humaine. » Elle inspira profondément. « Nous pensons que quelqu'un a volontairement poussé le Griffon à attaquer les Harpies dans le but de déclencher tout ce remue-ménage. Autrement dit, quelqu'un semble vouloir nuire aux habitantes de Þoka. »

Rien que ça !
Retombant dans le silence, la blonde laissa la parole aux deux autres.

Astrid ouvrit la marche, s’aventurant sur le ponton sous le regard interrogateur de son équipage. Il était légitime que ses compagnes s’interrogent sur la présence de l’alchimiste et du continental. Chacune d’entre elle avait pu assister à la « confrontation » du Fer-de-Lance et du drakkar de Logan et assez peu de temps s’était écoulé alors il n’y avait pas à douter du fait qu’elles se souviennent parfaitement de leurs visages, et de leurs provenances. Sa seconde lui avait d’ailleurs exprimés ses plus grandes inquiétudes quant à leur présence même sur l’île, et elle avait entendu son avis sur la question – comme toujours. Mais la Fálkidottir était une femme de parole et elle avait promis à Sigrid de lui permettre de se rendre sur l’île pour se fournir en composantes et elle n’entendait pas revenir sur sa décision, fut-elle accusée de laisser passer la vermine Snákr sur leur bien-aimée Fálki. Ceci dit, personne dans son entourage n’avait osé prononcer ces mots, déjà parce que leur respect mutuel était trop grand. Ensuite parce qu’elle savait que son équipage comprenait sa façon de penser.

D’un regard, elle les invita à continuer le travail – lester le navire – et prit place sur l’un des bancs de bois humide, invitant ses visiteurs à faire de même. Puis elle les écouta, attentivement. Elle se souvenait avoir entendu parler de ces meurtres et disparitions lorsqu’elle s’était rendue à la capitale pour rendre visite à sa sœur. Cette dernière lui avait même mentionné que parmi les disparus se trouvaient quelques-unes des sœurs de Stjarna qui officiaient avec elle, happée par elle ne savait quelle force alors qu’elles se rendaient de l’autre côté de l’île pour visiter des villages isolés. C’avait été une grande perte pour eux tous, et avait été considéré comme une offense envers les Dieux eux-mêmes. Même si certains avaient trouvé bon de considérer que c’était une punition divine et qu’il fallait l’accepter. Astrid, consciente que sa propre sœur aurait se trouver parmi ces habitants enlevés, était entrée dans une colère noire.

Elle fut surprise d’apprendre qu’elles étaient causées par des harpies. Leur agressivité était connue, mais c’était surtout parce qu’elles étaient très territoriale et elles se tenaient en général éloignées des hommes, préférant se nicher dans les alcôves des montagnes. Mais plus surprise encore d’apprendre que leur déplacement avait été causé par un griffon, et que ce griffon avait lui-même était dérangé par la main de l’homme. Lorsque Logan ajouta que toute personne qui voudrait s’en prendre à l’île et à ses habitants devait la connaître, être bien au fait de sa faune et de sa flore, ce fut une réalisation horrible mais irréfutable. À ces mots, ses prunelles se figèrent sur le visage de l’alchimiste et de son compagnon, se demandant si tout cela était effectivement possible ; Bien sûr, elle n’avait aucune raison de remettre en doute ce qu’ils leur disaient, surtout vu l’état dans lequel se trouvait le continental.

Mais une partie d’elle avait du mal à admettre que quiconque puisse vouloir s’en prendre à leur île, surtout que d’après leurs dires, il s’agissait d’une personne qui la connaissait très bien. Quelqu’un qui y était né ? Quelqu’un qui y avait trouvé refuge ? Qu’importait, il fallait absolument qu’elle découvre qui était cet individu et qu’elle le livre à la justice de l’Hǫfuð. C’était dans son devoir, même si elle ne faisait partie d’aucune garde, elle était habitante de cette île et se devait donc de la défendre. Mais d’abord, il fallait qu’elle en sache plus.

« Je vous remercie de me l’avoir dit. Elle marqua une pause. Ce sont de très lourdes accusations que vous proférez. La traîtrise est le pire, le plus abject des crimes. Et elle entraîne généralement la plus définitive des sanctions. »

Elle n’avait pas besoin d’élaborer pour comprendre de quoi il était question. Astrid marqua néanmoins une pause de quelques instants, réfléchissant à la manière dont elle devait aborder le problème. Sachant que la sécurité des habitants de la Capitale était compromise – parce qu’il fallait être fou pour penser que le saboteur allait s’arrêter là – elle ne pouvait pas se contenter d’attendre que les choses se dénouent d’elles-mêmes. Le risque était trop grand. Finalement, il lui sembla évident que la meilleure solution était de prendre les choses de front, de poser des questions pour essayer d’ajuster les pièces du puzzle.

« Comment avez-vous découvert qu’il s’agissait d’un sabotage ? Vous avez trouvé quelque chose sur les lieux qui laissent à penser que c’est le cas ? »

Elle était tentée de se rendre elle-même sur place pour estimer les dégâts, mais elle savait que ce n’était pas prudent avec la tempête qui s’annonçait. Malheureusement, il était même possible qu’après son passage, il ne reste rien pour prouver leurs propos. Seulement sa parole à elle contre celle de l’éventuel saboteur, puisqu’il ne fallait pas compter que leurs témoignages soient pris au sérieux étant donné leur provenance. Par chance, sa voix à elle avait un poids considérable et personne ne s’amuserait à la mettre ouvertement en doute à moins d’avoir de solides arguments. Par chance encore, elle croyait fermement à leur histoire.

« Que comptez-vous faire ? Après une pause brève, elle ajouta : en tout cas, une tempête terrible se prépare, vous ne pouvez pas envisager de retourner là-bas ou de prendre la mer ce soir, quel que soit votre choix. Vous êtes les bienvenus chez moi. Ma grand-mère est une guérisseuse hors pair, elle pourra vous fournir tout ce qu’il faut pour les soins. » Ajouta-t-elle à l’adresse de Sigrid.

Astrid était consciente du risque qu’elle prenait à les accueillir chez elle et du fait qu’elle allait certainement s’attirer l’opprobre des membres de sa famille, en particulier de sa mère, avec laquelle elle n’entretenait pas de bons rapports. Mais qu’importait ? Elle n’allait pas les laisser crever dans la tempête !

Là où est le danger, là est ce qui sauve

Logan Skall, Astrid Sìlfrddóttir et Sigrid Hakondóttir

Sigrid était assez nerveuse, elle se demandait comment la jeune femme allait réagir. Leurs accusations étaient relativement graves et en tant qu'étrangers – pire, en tant que Snákrson et Snákrdóttir – leurs paroles pouvaient être remises en doute ! Rien ne leur assurait qu'ils n'allaient pas finir pendus pour avoir proféré de telles choses, mais que pouvaient-ils faire d'autre ? Attendre que les choses se tassent d'elles-mêmes ? Au prix de combien de vies ? Non, c'était impossible. En devenant alchimiste, la demoiselle s'était spécialisée dans les potions de soin justement parce qu'elle pouvait pour sauver des vies, tourner le dos à ses responsabilités était donc impensable.

Alors que son estomac se contractait toujours sous le coup de l'inquiétude, Sigrid observait Astrid qui prenait la parole, ne les engueulant pas, mais ne se mouillant pas non plus. Difficile de lui en vouloir, elle devait avoir besoin de preuves et d'autres arguments plus valables que de simples soupçons !
Un léger soupir échappa à la blonde tandis qu'elle scrutait le visage de leur interlocutrice, essayant d'ordonner ses pensées comme elle pouvait. Cela dit, l'offre qui émana ensuite de la capitaine ne manqua pas de la surprendre : elle ne s'y attendait absolument pas ! Pour être honnête, la jeune femme était partie quasiment sans argent et mis à part ses affaires d'alchimiste, elle n'avait rien pour financer un hébergement sur l'île. Se voir proposer le gîte pour une soirée était donc salutaire, mais l'éducation de la demoiselle – parce qu'elle en avait une, oui ! – l'empêchait d'accepter l'aumône. Elle devait donner quelque chose en échange.

Après quelques secondes d'hésitation, la jeune femme hocha finalement la tête.

« Je dois avouer que ça ne serait pas de refus. Logan n'est pas encore totalement remis de toute manière, je pense que nous ne pourrions pas repartir immédiatement. » Elle posa un rapide regard sur le jeune homme. « Mais je ne voudrais pas vous gêner... Je n'ai pas emporté beaucoup d'argent avec moi, mais je n'ai pas pour habitude de profiter de la gentillesse des gens sans leur en être redevable. Nous acceptons si vous m'autorisez à vous aider d'une quelconque manière. »

Même en tant que « femme indépendante », Sigrid avait appris les rudiments du ménage. Elle savait à peu près cuisiner et entretenir une maison, même si ça restait très sommaire. Elle pourrait par contre leur confectionner d'excellentes potions, voire leur chasser un gros animal pour leur offrir de quoi se nourrir durant quelques temps. Tout dépendrait des besoins de la famille en somme !
Bien évidemment, la blonde n'avait pas demandé l'avis de Logan qu'elle traînait comme un patient incapable de se débrouiller seul.

« Je sais que nos accusations sont très graves et c'est pour cette raison que j'ai autant hésité à venir vous en parler. Je comprendrais que notre origine nous rende encore plus suspects à vos yeux. » Elle ne lui en voudrait pas. « Mais, j'ai trouvé des traces de pas, très nombreuses, ainsi que des restes de pièges et d'autres montages de ce type. » Un léger soupir lui échappa. « Ma famille est une famille de chasseurs, je sais repérer les traces et reconnaître des pièges. Je peux vous assurer que ceux-là n'avaient rien de... logique. Ils visaient à causer des soucis aux animaux du coin et non à chasser de quoi se nourrir. »

Difficile à expliquer à quelqu'un qui n'évoluait pas dans ce domaine, ou sans avoir les pièges en question sous le nez. Les traces étaient certainement encore visibles, mais après une bonne tempête, tout aurait certainement été effacé. Il ne resterait donc plus que leur parole.

« Quant à nos intentions... à dire vrai nous pensions simplement vous informer de nos découvertes et en rester là, mais plus j'y songe et plus je me dis que l'enquête serait peut-être plus facile pour des étrangers. » Elle marqua une pause. « Si votre peuple le souhaite, nous pourrions continuer nos recherches. » Ses yeux se posèrent sur Logan. « Qu'en penses-tu ? »

Vu qu'il l'avait traînée dans un nid de Harpies, il serait surprenant qu'il se débine tout à coup, mais sait-on jamais !

Face à la demande de Sigrid, Astrid adressa un signe de tête grave. Bien sûr, elle comprenait parfaitement que la jeune femme n’ait nulle envie d’accepter sa proposition sans rien donner en échange. Elles se ressemblaient sur bien des points, et la fierté qui leur était inhérente en faisait partie. Ca et une éducation stricte, selon toute vraisemblance. Elle n’avait pas réellement réfléchi à ce que Sigrid pourrait faire en guise de « paiement », parce qu’il fallait avouer que les Sìlfrddóttir ne manquaient pas vraiment de quoi que ce soit. Chasse ? Elles se fournissaient la plupart du temps auprès des meilleurs, ou allaient elles-mêmes poser des pièges dans les forêts denses qui bordaient leur domaine. Entretien de la maison ? Bien qu’elle se répugne à l’avouer, sa mère avait tenue à ce qu’elles fassent l’acquisition de femmes d’entretien ; Autant dire que les pauvresses n’étaient rien de moins que des esclaves qu’on payait une bouchée de pain pour effectuer leurs basses besognes. L’un des privilèges et des fardeaux de sa naissance, car c’était là des pratiques qu’elle dénonçait et qu’elle abolirait sitôt qu’elle serait devenue cheffe de famille. Finalement, restait l’alchimie. Si sa grand-mère était une guérisseuse hors pair, elle n’avait certainement pas le talent de la jeune femme n’ayant elle-même jamais reçue d’éducation allant en ce sens.

« Si vous m’aviez gênée, je ne vous aurais pas proposé mon hospitalité. Un sourire ourla ses lèvres. J’accepte votre proposition, mais nous aurons tout le temps de penser à cela une fois que vous vous serez reposé. » Conclut-elle finalement.

Loin d’elle l’idée de ne pas accéder à la demande de la jeune femme, mais la discussion qui suivit l’intéressait bien plus que l’idée de lui arracher des faveurs. L’alchimiste se disait consciente de la gravité des accusations, consciente aussi du fait qu’elle ne leur faisait probablement pas confiance. Et c’était, en toute logique, qu’elle aurait dû se montrer méfiante vis-à-vis d’eux. Peut-être que d’autres l’auraient été, mais pas elle et surtout pas quand son regard se posait sur Logan ; Il fallait être réaliste, personne n’aurait attenté à ce point sa vie pour essayer de lui soustraire quelque chose. Surtout quand les individus en question refusaient catégoriquement tout traitement de faveur ! Tapotant distraitement le coin de ses lèvres, le visage d’Astrid s’assombrissait à mesure que l’alchimiste parlait. Non, elle n’avait définitivement aucune raison de ne pas leur faire confiance, et pas non plus de raison de refuser leur aide.

L’esprit tourmenté, la Capitaine du Fer-de-Lance se leva d’un bond et fit quelques allées et venues le long du pont, avant de finalement s’appuyer sur la rambarde bardée de boucliers ronds pour darder l’horizon. C’était invraisemblable qu’une Fálkidottir cherche à nuire à son île. Ces femmes considéraient cette terre comme la leur, comme leur mère nourricière, comme l’incarnation-même de Miðgarðr. Comment imaginer un seul instant que quelqu’un cherche à causer préjudice à ses sœurs ? L’hypothèse d’un étranger était plus probable, mais tout aussi inquiétante. Lorsque Logan prit la parole à la suite de Sigrid, Astrid se tourna vers lui pour mieux l’écouter, sa curiosité piquée au vif par la faveur qu’il voulait lui demander.

Lorsque le tissu s’affaissa, dévoilant l’œuf mordoré, la jeune femme hoqueta de stupeur à l’instar de son équipage, ébahi par la vision rarissime. Quant à la proposition...

« Êtes-vous conscients de ce à quoi vous voulez renoncer ? » Demanda-t-elle d’un ton grave.

Nulle hospitalité ne valait un cadeau aussi précieux, et elle n’avait aucune envie de les escroquer. Bien sûr, elle savait que le Gamallien avait raison ; Entre ses mains, si tant est que le griffon soit encore envie, l’œuf avait toutes ses chances d’arriver à éclosion. Et elle savait aussi qu’elle préférait le voir entre ses mains, entre les mains d’une Fálkidottir, que vendu pour un prix exorbitant à un acquéreur peu scrupuleux qui tirerait mauvais profit de la majestueuse créature. Poussant un soupir, la jeune femme retourna finalement s’installer face à eux et reprit la parole avec douceur :

« Puisque vous voulez partir à leur recherche, laissez-moi vous aider à retrouver les coupables, ainsi que de vous loger chez moi. Je tiens à cette île plus qu’à ma propre vie, je ferai tout pour conduire ces traîtres devant l’Hǫfuð, ou les tuer de mes mains. En échange, j’accepte votre proposition, ajouta-t-elle à l’adresse de Logan. Enfin, se tournant vers Sigrid, elle ajouta : Si cela vous est un paiement suffisant, je pense que nous sommes quittes ? »

Et si ça ne l’était pas... Elle avait bien quelques stocks de potions à renflouer !

Là où est le danger, là est ce qui sauve

Logan Skall, Astrid Sìlfrddóttir et Sigrid Hakondóttir

Sigrid n'avait pas oublié l’œuf que Logan avait déniché dans le nid des Harpies et pour être honnête, elle aurait été aussi curieuse que lui de pouvoir admirer l'animal une fois que l’œuf aurait éclot ! Cependant, elle avait chassé suffisamment d'animaux pour savoir qu'on ne les élevait pas en un claquement de doigts. Ce n'était pas parce qu'on avait envie d'aider un animal qu'on réussissait forcément à le faire et c'était d'autant plus vrai qu'un bébé griffon était un animal fragile à l'instar de tous les animaux. Une Wyverne, les choses étaient différentes, mais là.....

Malgré tout cela, Sigrid était étonné que Logan puisse céder un tel bien aussi facilement. Depuis qu'ils s'étaient rencontrés, le jeune homme avait fait preuve de gentillesse et d'une certaine bonté à son égard, mais elle n'ignorait pas qu'il était un marchand – et pas forcément le genre très légal. Il aurait pu gagner pas mal d'argent en vendant l’œuf encore intact, l'offrir en échange d'un hébergement et peut-être d'une forme de confiance était donc... inattendu ! Mais peut-être que le jeune homme avait une question derrière la tête, allez savoir ?

En tous les cas, Astrid avait l'air au moins aussi étonnée qu'elle et elle ne le cachait pas. Logan ne pouvait pas ignorer qu'il se trouvait en position de force et Sigrid se demandait toujours s'il avait un plan en tête pour se montrer aussi bienveillant. Ou peut-être que les hommes du continent étaient vraiment différents de ceux de Snákr et qu'ils pouvaient simplement chercher à vous faire plaisir sans arrière-pensée.

Silencieuse, la jeune femme ne se remit à bouger qu'au moment où la capitaine s'adressa à elle pour savoir si elle était sur la même longueur d'ondes qu'eux. Toujours anxieuse à l'idée de faire une bourde qui la bannirait à vie de Fálki, la demoiselle répondit en bafouillant malgré elle.

« Oh, oui bien sûr. Je ne m'attendais pas à ce qu'il vous cède cet œuf, c'est pour ça que j'avais parlé d'un autre échange de bons procédés. » Elle ne voulait pas donner l'impression qu'elle avait cherché à garder l’œuf pour eux. « Lorsque vous parlez de nous aider, vous voulez dire que vous souhaitez y prendre part physiquement, ou est-ce que vous désirez nous assister.... à distance si je puis dire ? » Elle marqua une brève pause. « J'ai conscience que le sujet soit épineux pour les vôtres, alors je comprendrais parfaitement que vous ne puissiez pas vous afficher publiquement avec nous dans une telle affaire. »

Retombant dans le silence, elle se mordilla nerveusement la lèvre inférieure en oscillant du regard entre Logan et Astrid. Ils avaient l'air tellement à l'aise, tellement sûrs d'eux ! Elle de son côté se sentait tellement sous pression qu'elle avait l'impression de la vapeur allait bientôt lui sortir des oreilles. La peur de gaffer la poussait à se mettre la pression toute seule et elle se sentait particulièrement stupide.... Inspirant profondément, ses yeux bleus s'arrêtèrent sur le visage du Gamallien.

« Tu as visité la ville à notre arrivée ici, tu n'avais rien vu d'étrange ? » Elle fit une légère grimace. « Enfin, je me doute que ta première visite sur Fálki a dû te changer de Gamall, mais tu vois ce que je veux dire ? »

Elle ne disait pas que Fálki était une île étrange, mais même les habitantes de la ville devaient avoir conscience que pour des personnes originaires d'autres contrées, leurs mœurs avaient de quoi surprendre ! Détournant les yeux vers la capitaine, l'artisane reprit une dernière fois :

« Je me doute que cette question va vous sembler étrange, mais est-ce qu'il y a quelqu'un en ville qui pourrait chercher à nuire à votre peuple ? J'imagine qu'un bon espion doit facilement se fondre dans la masse, mais c'est difficile de garder toujours le même comportement. »

Enfin, elle le présumait. Sigrid n'avait jamais joué les espionnes, elle était parfaitement incapable de dire la manière dont il fallait se comporter !

Un amoncellement noirâtre s’étirait à l’horizon comme une fourrure qui engloutissait le ciel sous son revers timide. De temps à autre, un grondement lointain venait les prévenir de l’imminence de la tempête, mais chacun connaissait ici assez bien les affres de la Mer pour savoir qu’ils avaient encore du temps devant eux. Ce n’était pas un mal, étant donné que la conversation commençait réellement à prendre un tournant intéressant et qu’Astrid n’avait aucune envie d’y mettre un terme dans l’immédiat. Toujours assise sur son banc de bois, la jeune femme dardait de ses prunelles froides le visage de l’artisane, tandis qu’elle lui concédait que l’œuf serait un paiement lui serait suffisant. En réalité, c’était bien au-delà de la suffisance, ce qu’elle avait pris soin de préciser à son compagnon. Mais ce dernier lui avait affirmé être certain de son choix, aussi avait-elle dû accepter la proposition même si elle avait quelque part l’impression de les arnaquer. Pourtant, sans qu’elle sache réellement pourquoi, il lui sembla que c’était la Snákrdottir qui se sentait très mal à l’aise et aurait préféré se trouver n’importe où qu’ici. Elle peinait à comprendre pourquoi, puisqu’il n’y avait pas d’endroit plus sûr pour eux sur toute l’île qu’auprès d’elle et de son équipage. Mais elle savait aussi que les accusations qu’ils portaient étaient lourdes et pouvaient tout à fait finir par se retourner contre eux, leur arrachant définitivement l’accès à Fálki.

Dans une tentative de les rassurer, la jeune femme leur offrit un sourire doux :

« Oui vous avez raison, ce n’est peut-être pas prudent que je vous accompagne. Elle marqua une pause. Je n’ai que faire des rumeurs qui peuvent courir sur moi, par contre je refuse que le traître s’en tire par ma faute. À défaut de vous accompagner, promettez-moi d’essayer de le ramener vivant ? Qu’il goûte à la justice des Fálkidottir. »

C’était tout ce qui lui importait. Qu’il soit mené à l’Hǫfuð, qu’il paye pour tout.

Silencieusement, la jeune femme écouta les propos que leur rapportait Logan, les rumeurs dont il avait entendu parler et elle pourra un soupir subrepticement. Oui, bien sûr elle aussi avait entendu parler de cette espionne qui marchait librement parmi eux, c’était d’ailleurs à elle qu’elle avait pensé lorsque Sigrid lui avait parlé du sabotage. Mais quelque chose la gênait néanmoins ; Cela faisait des semaines, pour ne pas dire des mois, qu’ils savaient être sous le couvert d’un espion. La méfiance avait peu à peu étreint les rues de la Capitale, et on ne regardait plus son voisin qu’avec une suspicion non-dissimulée. Pourquoi aurait-elle décidé d’agir tout à coup ? Pourquoi s’en prendre grossièrement aux créatures qui peuplaient Fálki en attirant l’attention sur soi après être resté caché pendant autant de temps ? Quelque chose ne collait pas.

Lorsque l’artisane lui demanda si quelqu’un dans la ville pourrait chercher à s’en prendre à eux, Astrid secoua la tête d’un air de dénégation.

« En dehors ce que qu’a rapporté Logan, pas que je sache non. Ses prunelles d’acier croisèrent celles du Gamallien. J’ai entendu parler de cette rumeur moi aussi, beaucoup de nos sœurs se sont lancées à la recherche de cet individu sans jamais lui mettre la main de dessus. Il est incroyablement rusé, et discret. Je ne comprends pas ce qui aurait pu le pousser à agir de la sorte, à risquer d’être découvert alors qu’il aurait tout à gagner à rester dans l’ombre. Sauf si... »

Elle marqua une pause de quelques instants, le regard vague alors qu’on coup de tonnerre roulait dans le lointain, illuminant brièvement les cieux.

« Sauf si l’individu qui a poussé le griffon à attaquer les harpies n’est qu’un pion. Serrant les dents, Astrid joua machinalement avec le tour de cou qu’elle portait. Imaginez... Si l’espion était sur le point d’être découvert, il a pu pousser un natif de l’île à déranger ces griffons pour détourner l’attention de lui. » Et lui faire porter le chapeau à sa place pour disparaître sans laisser de traces, conclut-elle mentalement.

L’idée lui faisait froid dans le dos, mais ce n’était qu’une hypothèse parmi tant d’autres. La réalité, ils la connaîtraient en mettant la main sur cet individu et en lui faisant cracher le morceau.

Là où est le danger, là est ce qui sauve

Logan Skall, Astrid Sìlfrddóttir et Sigrid Hakondóttir

La situation était très délicate et Sigrid se demandait si elle était la plus qualifiée pour ce genre de travail. Soyons honnêtes, elle était bonne chasseuse et bonne alchimiste, mais pour tout ce qui était de l'espionnage ou même des enquêtes, elle n'en savait strictement rien ! En y réfléchissant bien, le fait de débusquer un espion était un peu similaire à la traque d'un animal, non ? Peut-être que certains de ses talents pourraient finalement s'avérer utiles, même si elle avait conscience du fait qu'elle ne pouvait pas vraiment compter là-dessus pour se lancer dans cette affaire. Après tout, ce n'était pas seulement sa réputation qui était engagée dans l'affaire, c'était aussi la tranquillité et la sécurité de nombreuses habitantes de l'île.

Humectant ses lèvres, elle écouta patiemment l'échange et les réponses des deux autres. Apparemment, ils étaient beaucoup moins inquiets qu'elle et Sigrid mit cela sur le compte de leurs expériences respectives. Même s'ils avaient approximativement le même âge, il semblait évident que les similitudes s'arrêtaient là....
Quoi qu'il en soit, lorsque la capitaine leur demanda de ramener le responsable en vie, elle acquiesça avec vigueur.

« Bien évidemment ! Je suis formée à sauver des vies, je n'aurais jamais l'idée d'en prendre une. Qui plus est, c'est à votre peuple qu'elle a causé du tort, c'est naturel que vous la sanctionniez en conséquence.... »

Elle posa un rapide regard sur Logan, espérant qu'il serait de son avis. De toute manière, ils n'avaient pas vraiment le choix et Sigrid refusait l'idée même de faire du mal à quelqu'un et à plus forte raison, de le tuer. Elle préférait penser que ce serait aussi le cas du jeune homme qui semblait plutôt axé vers les résolutions pacifiques, mais au fond, ils ne se connaissaient absolument pas, difficile d'en être sûr.

Il restait encore d'autres détails à régler avant qu'ils ne sachent comment s'y prendre, ou du moins vers quelle direction se diriger. Les prunelles bleues de la demoiselle oscillèrent entre les deux autres alors qu'elle se mordillait à nouveau la lèvre inférieure, essayant de dompter ses doutes – et surtout de les masquer.

« Vous voulez dire qu'il pourrait s'agir d'une manipulation ? Que le véritable espion aurait convaincu un innocent de le faire pour le bien de tout le monde ? » Elle fronça les sourcils sous le coup de la réflexion. « Les Griffons sont très territoriaux, je me faisais la réflexion que le responsable de cette histoire devait certainement avoir des traces sur le corps, mais si votre idée s'avère justifiée, peut-être que le responsable involontaire de cette histoire compte parmi les victimes ? » Elle soupira légèrement. « Difficile de le vérifier si nous ignorons de qui il s'agit. S'il n'a pas été tué au moment de déplacer le nid, il a pu être tué plus tard en revenant pour corriger ses erreurs, voire ne pas y retourner du tout par peur de subir le même sort que les autres victimes.... »

Sigrid fronça à nouveau les sourcils, apparemment cette piste lui donnait du grain à moudre ! Il fallait avouer que c'était quelque chose de très crédible et plus elle y réfléchissait, plus elle lui semblait logique. Après tout, pourquoi prendre le risque d'être démasqué en arborant des traces de griffes de Griffon plutôt que d'envoyer quelqu'un là-bas et s'assurer qu'il ou elle décède en déplaçant le nid ?

« Je dois avouer que je ne savais pas par où commencer, mais avec votre suggestion, je me dis qu'enquêter sur la première victime nous donnerait peut-être une piste ? » Elle les interrogea du regard. « Parce que, soyons honnêtes, les rumeurs ne vont pas beaucoup nous aider. Je viens de Snákr et je ne crois pas ressembler beaucoup à mes frères, alors je doute qu'une personne qui les aide soit forcément dans ce cas. J'imagine que c'est une idée reçue très répandue sur les îles.... » Un soupir lui échappa. « Qu'en pensez-vous ? »

S'ils tombaient d'accord, il ne resterait plus qu'à savoir où ils pourraient se procurer des informations à propos des victimes et ils pourraient – normalement – débuter leur enquête !

Un soupir rasséréné s’insinua d’entre les lèvres d’Astrid lorsque, presque d’une seule voix, les îliens lui affirmèrent qu’ils n’avaient aucune intention de châtier eux-mêmes le coupable. C’était une bonne chose ; Si cela tenait au cœur de la Fálkidottir, il fallait également songer que le fait qu’un traître soit puni par un individu d’une autre île, et à fortiori un habitant de Snákr, aurait sans doute été très mal vu de la part des résidentes de l’île. De là à dire que cela pouvait un incident diplomatique, il n’y avait qu’un pas. C’était d’autant plus vrai qu’avec l’arrivée de Harding Samrson, les relations entre les deux îles n’étaient pas au beau fixe. Elle n’était déjà pas certaine que le fait qu’ils soient présents sur l’île ravisse l’Hyrða ou l’Hǫfuð, mais qu’importait ! Elle avait fait le choix de les accueillir parmi les siennes, et ils ne leur avaient pas encore donné raison de regretter sa décision. Plus encore, chacune de leurs rencontres confortaient Astrid dans sa volonté de leur accorder sa confiance. Bien sûr, le doute était toujours permis lorsqu’il s’agissait d’individus étrangers à Fálki... Mais la jeune femme avait décidé d’assumer sa décision jusqu’au bout si les choses venaient à mal tourner.

« Je vous remercie. » Conclut-elle simplement d’un ton grave.

Satisfaite d’avoir obtenu d’eux la parole que l’individu sur lequel ils parviendraient à mettre la main ne s’en tirerait pas au bon compte d’une mort rapide, Astrid réfléchit à l’hypothèse qu’elle avait elle-même avancé ; Plus elle y songeait, plus elle lui semblait probable, et le fait que Sigrid n’ait pas l’air de rejeter son idée, loin de là, la conforta un peu. L’artisane avança que c’était tout à fait envisageable qu’un individu ait été manipulé pour déplacer le nid, mais qu’étant donné le caractère particulièrement territorial des griffons, il n’avait pas dû s’en tirer indemne. Et Astrid devait convenir que Sigrid avait raison ; Si l’homme s’en était sorti, il y avait de fortes chances qu’il soit gravement blessé ou qu’il ait fait le choix de ne plus revenir sur les lieux. Peut-être même qu’il avait quitté l’île. Sauf que cet homme, s’il existait, était leur seule piste vers le traître.

« Ce serait commode pour un traître, surtout si l’heure du départ était proche pour lui. Qu’aurait-il eu à perdre s’il comptait quitter l’île pour qu’un autre prenne sa place ? Une bouffée de colère la saisit au vif. Elle méprisait tant de lâcheté ! Il nuit à l’île et ses habitants, se débarrasse du témoin et du bouc-émissaire tout à la fois, détourne l’attention de lui en faisant d’abord passer les attaques pour des accidents... »

La Capitaine du Fer-de-Lance opina du chef lorsque l’alchimiste leur confia qu’elle ne faisait guère confiance aux rumeurs. Elle se garda de le leur dire – parce qu’il pouvait toujours y avoir une once de vérité dans les propos qui lui avaient été rapportés, pour ce qu’elle en savait – mais elle-même n’y accordait absolument aucun intérêt. Et particulièrement en ce qui concernait la présence de cet espion sur l’île. En se déplaçant à la Capitale, Astrid avait entendu tout et son contraire, si bien qu’elle n’aurait même pas été capable de dire si le traitre était une femme en quête de vengeance ou un homme désireux d’apposer la marque de Snákr sur l’île...

« Je doute que les cadavres soient encore... En état. Elle eut une moue dégoûtée. Avec l’épidémie qui sévit sur Bjǫrn, les prêtresses incinèrent systématiquement les corps qui sont trouvés sur l’île. Alors des corps vieux de plusieurs jours... » Expliqua-t-elle.

Il n’y avait pas de risques en ce qui concernaient les habitants qui mourraient au cours de combat, ou auprès de leurs proches, mais la chanson n’était pas la même pour ceux qui étaient retrouvées en pleine nature et qu’il n’était pas possible d’identifier. Réfléchissant, la Fálkidottir réalisa soudainement qu’elle avait la solution à leur problème – un large sourire balafra son visage alors qu’elle dardait chacun de ses interlocuteurs de ses prunelles d’acier.

« Je connais les femmes qui ont découvert les premiers corps, asséna-t-elle. Ce sont des Fálkidottir qui vivent le long de la route qui mène à Þoka, en lisière de la forêt qui borde la chaîne de montagnes centrale de l’île. Si vous suivez la route vers la capitale, vous ne pouvez pas les rater. Après un instant d’hésitation, la jeune femme ajouta : la cheffe de famille s’appelle Brunhilde Sargondottir. Je vais lui écrire dès ce soir pour la prévenir votre arrivée demain,... Elles n’auront pas de raison de vous chasser et j’ai bon espoir qu’elle vous aide à coincer le bâtard qui met l’île à feu et à sang. »

Tandis qu’elle finissait de parler, un éclair fendait le ciel au-dessus d’eux, suivi de près par un craquement sonore qui roula fort dans les airs. Aussitôt, de larges gouttes commencèrent à s’écraser dans le sable, dessinant sur la terre humide des larmes noires. Jetant un coup d’œil à ses équipières, Astrid se tourna finalement vers ses interlocuteurs, un sourire fané aux lèvres :

« Nous devrions y aller tant que le temps nous le permet. »

Une fois réunis dans la demeure des Sìlfrddóttir, ils auraient tout loisir de continuer à parler, tout en profitant d’un repos mérité, d’un repas chaud et d’une nuit paisible. Si les rafales mugissantes le leur permettaient...

Là où est le danger, là est ce qui sauve

Logan Skall, Astrid Sìlfrddóttir et Sigrid Hakondóttir

Apparemment, ses suggestions inspiraient ses deux interlocuteurs et Logan approuva son idée, avançant celle de remonter la piste à partir du premier cadavre. Cela demanderait bien sûr de l'analyser et vu que les morts étaient survenues bien avant leur arrivée sur Fálki, mais l'idée n'effrayait pas Sigrid. Si cette dernière n'aimait pas l'idée de donner la mort, elle l'avait tout de même côtoyée. Son oncle avait eu besoin d'elle pour certains cas peu ragoûtants, notamment lorsqu'il avait fallu déterminer les raisons de la mort d'un homme trouvé après plusieurs jours passés en pleine nature. Elle se souvenait encore de l'odeur putride qui s'en dégageait et lui avait retourné l'estomac, mais disons que ça lui avait un peu forgé le caractère. Et puis, c'était plus ou moins lié à son travail.

Cela dit, Astrid leur souligna avec justesse que les corps n'étaient certainement même plus analysables. S'ils avaient été incinérés, il y avait effectivement de fortes chances pour que l'idée de remonter la piste soit grandement compliquée. Mais peut-être que les prêtresses avaient noté des choses importantes en s'occupant des corps ?

« On pourra toujours interroger les prêtresses en question, ou simplement les proches des victimes. J'imagine que ces derniers doivent pouvoir nous donner les renseignements nécessaires pour nous aiguiller dans une direction. »

Astrid avait adopté une expression de réflexion et reprit bientôt la parole, expliquant qu'elle connaissait les personnes qui avaient trouvé les corps. Excellente nouvelle ! Sigrid se pencha légèrement en avant comme pour ne rien rater des mots de son interlocutrice et acquiesça à plusieurs reprises comme pour indiquer qu'elle notait tout cela dans son esprit. Le fait que ces femmes vivent à l'écart de la ville était peut-être une chance pour eux : elles devaient connaître la nature et savoir repérer des traces suspectes. Qui plus est, il s'agissait peut-être de chasseuses et elles auraient certainement remarqué les changements étranges qui pourraient s'opérer autour d'elles.

Sigrid n'eut toutefois pas le temps de remercier la jeune femme de toutes ces informations : un éclair zébra soudainement le ciel et le déluge commença. L'artisane ne craignait pas la pluie et même si elle ressemblait généralement à un animal trempé après avoir passé un petit moment sous une averse, cela ne l'inquiétait guère. Ce n'était pas comme si elle portait une quelconque attention à sa toilette ou à son aspect général....
Ses prunelles se reposèrent finalement sur Astrid au moment où celle-ci leur proposait de se mettre à l'abri tant qu'il était encore temps. Acquiesçant d'un hochement de la tête, Sigrid répondit avec un sourire enthousiaste, bien qu'un peu soucieux.

« Encore merci à vous, pour tout. »

Sigrid laissa Astrid se charger de les conduire à bon port et la suivit docilement, ne pouvant s'empêcher de se poser mille questions. Elle n'était pas habituée à passer du temps dans une demeure occupée uniquement par des femmes. Chez elle, c'était tout le contraire et les rares femmes à domicile – comme sa mère et parfois ses belles-sœurs – servaient plus d'esclaves que de véritable présence humaine. Hormis ce détail, la jeune femme s'inquiétait de voir la réaction de la famille d'Astrid en la voyant débarquer avec un homme. Si au moins Logan avait eu le bon goût d'avoir l'air efféminé, peut-être qu'il passerait plus inaperçu !

Blague à part, malgré toute l'anxiété qui l'habitait, la blonde avait hâte d'être à l'abri et de pouvoir se réchauffer un peu. Dès le lendemain, ils allaient devoir se mettre en route pour une enquête qui s'annonçait certainement ardue, mieux valait s'arranger pour se reposer tant qu'il en était encore temps.