(
musique)
« Racontes moi encore cette histoire là, s'il te plaît. »
La sœur passe une main sur le front de Signy. L'enfant aime compter les plis aux coins de ses yeux. On lui a dit qu'il s'agissait d'autant de signes de sagesse, les années laissant une trace bienveillante sur le visage des Kirosis. Elle soupire, la sœur, de l'insistance de l'apprentie.
« Tu la connais par cœur. Ce n'est pas le passé qui importe, Signy, c'est l'avenir. Mais tu le sais, n'est-ce pas ? Je vais te la raconter une toute dernière fois, si tu promets de t'endormir ensuite. »
D'un petit hochement du menton, l'enfant consent.
« C'était donc il y a de cela vingt cinq printemps. Les premières gelées venaient d'avoir lieu et nous nous préparions à rendre hommage à Heimr et Vatn. La nuit était déjà tombée depuis longtemps quand elle a frappé à notre porte. C'était une femme d'âge mûr, visiblement assez fatiguée par la vie, peut-être avait-elle travaillé dur ? Elle te tenait avec beaucoup de tendresse et de précaution, comme un trésor dont elle aurait eut peine à se séparer. Quand nous avons demandé son nom, elle ne fit que répondre :
Mon nom ne doit pas avoir d'importance pour elle. C'est Stjarna qui l'a faite, c'est à Stjarna que je dois la rendre. La déesse me l'a dit. Elle saura lui montrer le chemin, alors que je ne serais qu'une distraction pour elle. Alors nous avons demandé ton nom, car il était inutile d'insister. Elle n'était pas d'ici, et je ne revis plus jamais son visage : mais de ses mots, elle était convaincue. »
La sœur se penche pour déposer un baiser sur le front de l'enfant.
« Ne penses-tu pas qu'elle avait raison ? »
Les grands yeux clairs la fixent sans répondre, confus. Que peut-elle en savoir ? Oui, il lui arrive de... voir des choses. Mais c'est aussi ce que disent les autres apprenties. Elle n'a rien de spécial, après tout. Pourtant, c'est si rassurant d'entendre ces mots. Si apaisant d'imaginer qu'il y a une raison à l'absence d'une mère dans sa vie.
Les bras de Stjarna sont certes doux, mais ses mains ne s'étendent jamais jusqu'à ses joues pour en essuyer les larmes.
✦✦✦
« Eydis ! Eydis, attends-moi ! »
Eydis, c'est un peu une grande soeur. Enfin, Signy ne pourrait pas savoir ce que c'est, d'avoir des frères et soeurs. Elle demande souvent à Eydis de lui parler de sa famille, avec une sorte de fascination qu'elle a du mal à cacher.
D'autres se seraient sûrement vite agacées d'avoir tout le temps Signy dans les jupes. Elle n'est pas forcément très utile, il faut dire. Elle n'a pas de force, pas de caractère. Il est terriblement facile de lui marcher sur les pieds, et cela, les autres soeurs l'ont vite compris. Quelques unes ont tenté de se lier d'amitié, mais cette gamine là est trop bizarre, trop ennuyeuse. Elle ne veut jamais vraiment jouer, comme si les occupations des enfants de son âge étaient trop triviales pour elle. Au lieu de cela, elle semble toujours rêver, se perdre dans la contemplation du ciel. Quand elle disparaît, tous devinent qu'elle est perchée quelque part dans les rocheuses au dessus du temple.
Bien sûr, Eydis n'attend pas. Elle a de plus grandes jambes, fait de plus larges pas, et Signy doit courir pour la suivre. Mais elle n'abandonne pas. Eydis est la seule à l'accepter telle qu'elle est, sans la regarder de travers - à ne pas rire de ses habitudes étranges. Quand enfin l'apprentie plus âgée s'arrête et se retourne, Signy se fige, surprise. Eydis lui tend la main, un sourire bienveillant aux lèvres. L'enfant s'empresse de la prendre, prise d'une joie naïve.
Les années passent et se ressemblent, surtout pour une petite fille dont l'esprit se plaît à vagabonder, à la recherche de quelque chose... Stjarna ? Les visions la saisissent surtout dans son sommeil, la réveillant souvent en sursaut. Elle ne comprend jamais le sens des images, car le futur ressemble à un indémêlable nid de cordes. Alors elle se met en tête de les dessiner. De coucher sur le papier le chaos de ses pensées, le destin qui refuse de se laisser saisir. Peut-être qu'avec de l'application et de la patience...
✦✦✦
Il fait très froid, cette nuit là. Bien sûr, il y a des braseros dans le temple, mais pas assez pour certains hivers. Signy s'est donc blottie plus près d'Eydis. Quand l'aînée pose ses mains sur elle, elle n'ose pas réagir ni s'écarter. Elle a déjà vu d'autres soeurs faire ce genre de choses. C'est un signe d'affection, n'est-ce pas ? Elle sait aussi ce qu'on raconte. Que les garçons, bien qu'ils soient rares, n'hésiteraient pas à glisser leur main sous la robe des soeurs si l'occasion s'en présentait - et cela, elle est certaine de ne pas en avoir envie.
Elle est étonnée d'apprécier, Signy. Toutes ces choses qui plaisent aux mortels, et qui ne l'affectent que rarement... C'est peut-être parce qu'il s'agit d'Eydis et d'aucune autre. Son coeur qui s'emballe. La chaleur qui reprend ses droits et chasse le froid de leurs couvertures. Elle devrait poser des questions, sans doute, mais préfère le mutisme. Le silence est sécurisant, doux, familier. Stjarna aura sûrement des réponses pour elle, le moment venu. Il suffit d'attendre.
✦✦✦
Quelque chose a changé. Pas en un jour, ni même en un mois... Ce fut si discret. À l'intérieur de son esprit, dans son coeur, au fond de son ventre. Les images sont devenues... limpides, presque. Comme si, soudainement, elle maîtrisait la langue de ces écrits qu'elle tentait de déchiffrer depuis des années. Comme si, en tirant sur le bon fil, elle avait commencé à défaire le noeud. Son coeur est plus léger, il lui semble qu'enfin, ses yeux voient vraiment. Quand elle le dit aux soeurs plus âgées, on lui sourit avec indulgence. Même Eydis ne la prend pas vraiment au sérieux. Cela fait bien des années que celle-ci a terminé son apprentissage, après tout, et Signy elle-même est déjà une véritable Soeur de Stjarna depuis quelques mois. Alors pourquoi ? Pourquoi soudainement, elle n'a plus seulement quelques mots imprécis à offrir aux Fálkidóttir ?
Elle n'ose pas insister, Signy. Ses paroles font sourire. Ce n'est pas la première fois qu'une prêtresse affirme de telles choses, se prétend capable de voir des éléments de l'avenir avec une si grande précision.
Rapidement, elle n'essaye plus de se faire entendre. Si Stjarna avait souhaité que sa voix soit remarquée à travers Signy, alors il en serait déjà ainsi. Sans doute s'est-elle bercée d'illusions, de doux espoirs emprunts d'ambition. Il s'agit là d'envie, de vanité. Des défauts qui l'écoeurent. Elle se déteste et s'oublie de nouveau, occupant son esprit tantôt par le dessin, tantôt dans les bras d'Eydis.
✦✦✦
Il y a une ombre au tableau, et son nom est Solveig. La fille d'Eydis, à peine plus jeune que Signy, attise une jalousie dont elle a honte... Mais elle s'y abandonne, pleinement, se laisse ronger par le désir que toute l'attention d'Eydis lui revienne. Comment résister à ce feu insoutenable, à cette colère qui grandit d'année en année ?
Un jour, l'occasion est trop belle pour qu'elle ne la saisisse pas. L'hiver approche, aussi l'eau de la rivière est-elle glaciale sous ce pont de cordes. Le froid la noierait, ou les rochers en contre-bas lui briseraient la nuque. Il suffirait d'un mauvais pas, d'une glissade... Personne ne la suspecterait. Elle se rapproche à pas prudents du dos de Solveig, tendant ses doigts tremblants vers elle. Juste un geste, et tout serait terminé.
Mais soudain, une paire d'yeux se tournent vers elle puis s'enflamment en voyant ses mains levées.
« Qu'est-ce que tu fais ? »
Le regard de Signy s'évade, fuit ; elle prend ses jambes à son cou, doublant la fille d'Eydis d'un bond habile pour échapper à ses questions.
Rien, aimerait-elle marmonner mais le mot s'étouffe dans sa gorge. Pourquoi ne l'a-t-elle pas fait ?
Lâche. Certainement, ce n'est pas ce que la déesse attend d'elle, mais ne pourrait-elle comprendre la nécessité d'un tel acte ? Les larmes roulent sur ses joues tandis qu'elle retourne au village en courant, s'abîmant le souffle. Solveig ne dirait rien - ce serait sa parole contre celle de Signy, après tout. Qui pourrait croire la douce Signy capable d'une telle chose ? Certainement, les mots de l'autre seraient qualifiés d'inepties.
✦✦✦
Il y a un nouveau garçon, dans le village. Il est différent des quelques époux ; plus jeune, plus... libre. C'est le fils d'une des prêtresses, venu tout droit de Snákr. Qu'a-t-il fui, pourquoi a-t-il décidé de réclamer un retour à sa patrie maternelle ? Il attise la curiosité de toutes, mais suscite aussi leur méfiance.
Elle ne s'attend pas à ce qu'il la suive là-haut, où rares sont les villageois à s'aventurer car l'escalade est trop périlleuse. Il est musclé, comme un guerrier, mais pas habitué à de telles hauteurs. Elle le voit s'effondrer sur le rocher près d'elle, prise d'un sursaut terrifié : pourquoi l'a-t-il suivi ? Un peu mal en point, le souffle court et les paumes ensanglantées, il finit par se redresser et voir qu'elle s'est écartée jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que le vide dans son dos, jetant des regards paniqués vers lui.
« Je n'te veux aucun mal. Je m'appele Eir, tu as peut-être entendu parler d'moi ? »
Doucement, elle hoche le menton, sans répondre. Comment le chasser ? L'entendrait-on au village, si elle criait assez fort ?
« Désolé de t'avoir... surprise. »
Il s'assit avec calme à un mètre d'elle, au bord du précipice. Elle finit par s'éloigner du vide et s'installer à son tour près de lui. Il serait stupide de s'en prendre à elle, n'est-ce pas ? Tout le monde a dû le voir partir du village.
« T'as pas l'air très bavarde. Encore moins que les autres sœurs. »
Elle ne peut s'empêcher de le dévisager. Jamais elle n'a vu un homme d'aussi près. Elle n'aurait qu'à lever la main pour lui toucher le bras. Il paraît étrangement banal, à présent qu'elle le voit mieux. Fort, oui, mais ordinaire. Il n'y a pas de vice visible dans ses yeux, pas de rictus au coin de ses lèvres. Il ressemble aux autres hommes de l'île, en vérité. À quoi s'attendait-elle ?
« Je dois faire la discussion tout seul, en fait ? »
Elle baisse le nez, une moue amusée se dessinant sur ses lèvres.
« Hé, mais tu sais sourire. Pas croyable. »
Signy lève les yeux au ciel. Finalement, il faudrait qu'elle parle, au moins pour qu'il cesse de raconter tant de bêtises.
« Décris moi Snákr. »
L'aplomb dont elle fait preuve le prend au dépourvu. Ce n'est pas ce qu'on attend de ce minois discret, de ces airs apeurés. La curiosité suffirait-elle à faire sortir l'oiseau du nid ?
« D'accord, mais une question pour une question. Je t'ai donné mon prénom, tu peux bien me donner le tien... »
✦✦✦
Eir n'a pas le même regard que d'ordinaire. Ses yeux la fuient, comme de crainte d'exprimer quelque chose. Pourquoi a-t-il demandé à ce qu'ils se voient tout de suite, à ce qu'ils grimpent là-haut en plein milieu des tâches de Signy ? Elle a dû s’éclipser, échapper aux autres sœurs, ce qu'elle n'a pas l'habitude de faire. Mais le ton du garçon était si pressant qu'elle n'a pas su refuser.
« Que se passe-t-il, Eir ? »
Elle peine à le suivre entre les arbres et à travers les fourrés escarpés, ce malgré son agilité. Il est devenu plus habile au fil des mois, bien sûr, s'adaptant à son nouvel environnement. Bientôt, ils atteignent la base du pic rocheux. Là-haut, autrefois, ce n'était que son repère à elle. À présent, elle le partage avec lui. Parce qu'elle lui fait confiance - qu'il est devenu un ami. Il n'a jamais essayé de la toucher, brisant les idées qu'elle se faisait sur les Snákrson.
Il s'arrête avant de commencer à grimper, se tournant tout à coup. Elle lève des yeux surpris.
« Eir ? »
Il lui suffit d'une poussée pour qu'elle s'étale dans la terre, seul le tapis de feuilles mortes amortissant sa chute. Quelque chose lui frappe la nuque, sûrement une pierre qui se trouvait là, ajoutant à sa confusion lorsqu'elle sent et voit sa forme s'abaisser sur elle. Elle répète son nom, interrogatrice, perdue. Que fait-il ? Ce sont ses mains qu'elle sent tirer sur son pantalon ? Un hoquet dégoûté la secoue et elle se révolte enfin, le poussant de ses maigres forces.
Il est terriblement lourd. Impossible à écarter. Elle crie mais sa main étouffe les sons. Elle ne réalise pas qu'aux larmes qui coulent sur ses joues, se mêlent celles d'Eir. La douleur est terrible, mais elle n'est rien comparée à la trahison qui lui déchire le ventre.
Souillée. Que Stjarna pardonne sa naïveté. Elle prie, en silence, s'emplit la tête d'appels à l'aide adressés à la déesse.
Enfin, il disparaît. Pourtant, les images sont encore là. Ce n'est plus juste elle. Il y a d'autres femmes, à présent, qui défilent sous ses yeux, dans sa peau : elle les voit, chacune d'entre elles, leur corps volé et leurs âmes piétinées.
Vous ne pouvez pas ! Ráðfriðr ! crie l'une d'entre elle, avant que la vision ne se dissipe.
✦✦✦
Elle se souvient vaguement d'avoir été déplacée. Quelqu'un l'a posé sur une paillasse et lâché une couverture sur son dos. Quelqu'un a fait couler un peu d'eau au fond de sa gorge. Eydis ? Le monde tourne autour d'elle, et un gémissement lui échappe lorsqu'elle cherche à se redresser. Le bas de son ventre est en flammes. Ses yeux confus cherchent un point de repère, une aide. La pièce est plongée dans l'obscurité. Enfin, une silhouette s'arrête près d'elle.
« Signy... Reposes-toi, tout va bien. Il a été arrêté alors qu'il essayait de s'enfuir, et va être jugé à l'aube. Crois-moi qu'il sera condamné à mort, avec ce qu'il a osé faire. »
La colère vibre dans la voix de la sœur. Signy hoche lentement la tête, tâchant de saisir l'importance de ses mots. Elle devrait être contente, non ? Mais il y a quelque chose d'étrange dans cette histoire. Quelque chose qui lui démange l'arrière du crâne, un détail qui cloche. Elle tente de mettre le doigt dessus, serrant les paupières pour ignorer la douleur... La question, presque anodine, la taraude : comment a-t-il pu être assez stupide pour penser s'échapper après l'avoir violée ? Elle croyait connaître Eir, avant aujourd'hui. Il était trop intelligent pour se faire avoir de la sorte. Elle cherche à pousser sa réflexion plus loin, mais bientôt, un sommeil peu naturel la happe.
✦✦✦
« Je t'avais prévenu. »
Quand elle rouvre les yeux, et se trouve blottie contre son aînée, tels sont les premiers mots qu'Eydis lui offrent. Froids de vérité, aussi abrupts que justes.
« Les Snákrson sont les pires parmi les hommes. Si tu m'avais écouté, ce ne serait jamais arrivé. Mes promesses de le rendre riche ont suffi à lui faire oublier toutes les promesses qu'il a pu te faire. »
Les cils de Signy s'agitent pour chasser les larmes. Elle s'exclame, sa voix rendue rauque par la sécheresse de sa langue.
« Quoi ? »
La main qui passe dans ses cheveux, contre sa nuque, calme brièvement les battements affolés de son cœur.
« Allons, que croyais-tu ? Je savais qu'il finirait par craquer, je n'ai fait qu'accélérer les choses. J'espérais qu'il ne soit pas assez courageux, bien sûr, et si j'avais pu empêcher qu'il aille jusqu'au bout... »
Un soupire désolé secoue la poitrine d'Eydis. Un instant, Signy cherche sa respiration, les yeux fixés dans le vide. Ce n'est même pas par luxure, mais par cupidité, qu'Eir l'a bafouée.
Elle n'assiste pas à l'exécution. La mère d'Eir lui lance parfois des regards glaçants, cryptiques. Sans doute lui en veut-elle, bien qu'elle ne s'en vante pas. Qui se vanterait d'avoir un fils condamné pour pareil crime ? Mais si elle n'a pas voulu assister à l'exécution, c'est surtout par crainte de croiser ses yeux à lui.
Amis ? avait-il lancé avec un sourire espiègle, une semaine auparavant. Elle n'avait pas répondu, si ce n'est par son propre sourire, plus réservé. Sans doute avait-il pris cela pour de l’assentiment.
Oui, elle l'avait considéré comme un ami. Le seul, en dehors d'Eydis.
✦✦✦
« Signy ! Il y a une lettre pour toi, qui vient de Þoka ! »
Les yeux de la soeur s'agrandissent d'étonnement. Elle ne connaît personne à Þoka... L'apprentie lui tend la lettre, petit morceau de papier qu'elle déroule.
Cette lettre est destinée à Signy, dite l'Oeil de Stjarna.
La rumeur de vos présages et de leur précision s'est répandue jusqu'à mes oreilles, si bien que je suis fort pressée d'entendre de vive voix ce que Stjarna vous confie. Je me serais volontiers déplacée mais mes devoirs me forcent à rester à Þoka, aussi je vous invite à me rejoindre pour la durée qui vous siéra : les frais de votre déplacement vous seront remboursés, bien entendus, et des appartements vous attendent dans ma demeure.
Dans l'espoir de bientôt vous rencontrer,Elle ne reconnaît pas le nom qui suit, devinant cependant sans peine qu'il s'agit de celui d'une famille noble - à en juger par l'écriture raffinée, le papier d'une étonnante qualité, et surtout : la proposition. Elle relit plusieurs fois la lettre, l'étonnement la laissant muette.
« C'est quoi ? C'est quoi, Signy ? »
L'apprentie s'impatiente mais déjà, son aînée lui tourne le dos et s'éloigne à grands pas vers le temple. Eydis doit être la première à lire cette lettre, après elle. Sans doute comprendrait-elle mieux ce qu'il se passe. Comment est-ce possible ? Elle n'a guère fait qu'annoncer quelques bonnes récoltes, déconseiller certains choix aux Fálkidóttir des villages alentour - et il y a bien cet accident qu'elle a évité le mois précédent, en poussant les sœurs à renforcer un vieux pont. On a fini par la croire, finalement.
Elle ne fait pas grand chose de plus que ses comparses, pourtant. Mais ses visions ne l'ont pour l'instant jamais induise en erreur. Ce dont Signy n'a pas conscience, c'est de l'attrait qu'elle provoque chez certains Fálkidóttir. Le mystère autour de sa naissance a toujours délié les langues, mais à présent c'est de son don dont on aime parler ; mais aussi de sa présumée pureté, et de sa foi qu'on affirme capable de toucher le cœur de n'importe quel hérétique. Elle n'a qu'un sourire amusé d'entendre ces sottises, Signy.
Quand elle apporte la lettre à Eydis, c'est presque si elle s'attend à ce que celle-ci la jette aussitôt au feu avec un rire. Oeil-de-Stjarna ! Quelle vaste farce. Seuls les vaniteux se plaisent à arborer pareil surnom.