Il a ce regard sombre des mauvais jours, Sigfred, et ce visage fermé et grave des moments où la plaisanterie serait déplacée. Alors qu’au loin, là où la plaine se mêle aux flots scintillants de la mer, se dresse enfin la silhouette d’un petit hameau de pêcheurs, le guerrier ne peut s’empêcher de voir dans ce calme apparent, l’annonce d’une tempête. Plissant les yeux pour se protéger de la brise salée venant de l’océan et pour mieux distinguer les vies éparses qui semblent absorbées par leur quotidien dans l’ombre des masures qui apparaissent à l’horizon, il n’y a rien qui ne saurait apaiser la méfiance du Bjǫrnson alors même qu’il a été signalé une attaque de ce village. La mission de l’Herr paraît simple, presque anecdotique et pourtant il n’y a rien de plus ardu que sauver la liberté et la vie des habitants avec le moins de pertes possibles. Un objectif à zéro pertes, même, parce qu’il faut savoir mettre la barre très haut pour se faire respecter et honorer la réputation d’une Elite qui n’est pas censée être déméritée.

Détournant son regard du lointain pour prêter attention à la petite troupe qui l’accompagne, le guerrier à la crinière blanche pose un œil vigilent sur chacun des quatre soldats présents, à commencer par Eldrid. La farouche combattante a toute la confiance du chef de l’Herr pour les affaires martiales, et en plus de ça, il sait intuitivement qu’il peut compter sur son humanité. N’est-ce pas là leur devoir, après tout, qu’en jurant de protéger leur Jarl et leur peuple ? Quant aux autres, s’ils ne sont pas de l’Elite, ils sont cependant des soldats entrainés et expérimentés dont la valeur est tout aussi estimable, sinon ils ne seraient pas ici aujourd’hui. « Arrêtons-nous ici avant qu’ils ne nous aperçoivent. », décrète-t-il dans un souffle, pliant les genoux pour s’accroupir et observer les alentours en rase-motte, espérant que les brigands qui ont pris d’assaut le hameau n’aient pas d’éclaireurs trop curieux ou trop zélés pour parcourir les lieux jusqu’ici.

Il faut croire que même lorsqu’on ne possède rien ou presque, la fatalité vient à envoyer des oiseaux de malheur prendre ce qui leur appartient et parfois bien plus. Ce groupe de pillards, qu’il se soit échoué par le hasard des flots ou ait débarqué avec la volonté de s’installer ici au détriment des habitants, ne connaitrait pas une journée de plus sans apprendre la loi du Jarl et les conséquences de leurs actes… Et s’il a fait le trajet jusqu’ici en compagnie d’Eldrid et des autres soldats, ce n’est certainement pas pour demander la reddition des brigands. Le chef de l’Herr ne négocie pas, il taille en pièces ceux qui ont osé bafouer les lois de Bjǫrn et s’en prendre aux hommes, femmes et enfants de l’île. Mais à cette fin, une approche frontale ne serait pas la plus efficace pour éviter les dégâts collatéraux. On avait déjà envoyé une patrouille de l’Herr pour se charger de libérer le village de cet oppresseur trop gourmand, et en guise de résultat, si les soldats étaient rentrés sains et saufs, on ne pouvait pas en dire autant d’une petite fille que leur ont ensuite fait parvenir les pillards en terme de représailles. Ou du moins, juste sa tête…

Alors puisque ces marauds veulent jouer aux plus fins, ils joueraient aux plus fins. De ce que les soldats avaient apporté à leur retour, ils sont une bonne quinzaine pour le double d’habitants, et logent dans leurs petits navires amarrés au cas où on tenterait de les attaquer la nuit… Il ne manquerait plus qu’ils aient de quoi faire flamber les masures, songe Sigfred en un mouvement agacé de la tête. Bref, quoiqu’il en soit, il était nécessaire de s’approcher davantage pour en savoir plus et ainsi aviser par la suite. Le soir commence à tomber et avec lui, la lumière se fait plus terne, plus pâle, se reflétant moins sur le métal de leurs lames ou de leurs armures. « Eldrid, allons les observer de plus près. Nous ne devons pas leur laisser l’occasion de nous accueillir avec un couteau sous la gorge de chaque villageois. Vous, couvrez nos arrières, on ne devrait pas en avoir pour longtemps. », dit-il d’une voix bourrue en se redressant, regardant tour à tour la jeune femme puis les soldats. Faisant quelques pas dans la plaine vallonnée qui les sépare du village au bord de l’eau, il inspire doucement, les pouces calés à sa ceinture. « Qu’est-ce que tu penses de la situation ? », demande-t-il après quelques instants où seul le silence répond au bruissement de leurs pas.